Vendredi 05 Octobre 2001
"Chaque assassin est probablement le vieil ami de quelqu'un."
Agatha Christie
20h40 : Vous avez fait quoi de votre journée ?
Moi j'ai condamné un homme ! Oui, oui, ça va, je le vis plutôt bien. La matinée s'est ouverte sous les dires de l'expert psychiatrique. Immature, dépendant, narcissique, égocentrique, oedipien, en perpétuelle fuite il a agit froidement, méthodiquement. Toute sa vie il s'est comporté comme une éternelle victime, rien n'est jamais de sa faute... Passons... Deux autres témoins (15è et 16è) poursuivent cette matinée pourtant ensoleillée à travers les carreaux de la salle d'audience. Dans le fond de la salle une fille pleure et un gendarme me sourit. Puis vient ce moment atroce où nous, les jurés, avons dû nous pencher sur les photos "couleurs" de la victime sur les lieux du crime. Crane défoncé, corps gonflé et vert, giclées de sang sur les murs, flaque dans l'entrée. Un appartement comme le mien, du sang coagulé sur ses démake up dans la salle de bain. Mes mains tremblent. Le juge me demande si ça va. Je dois être blanche comme les démake up. Suivent les photos de l'autopsie. Je suis incapable maintenant encore de vous en dire quelques mots. La nausée vient trop vite. Je me dis qu'il faut faire quelque chose pour que ce monstre d'égocentrisme paie sa dette. Il ne pleure que sur son compte, pas une once de remords. Dès qu'on parle de lui il est sous les feux de la rampe. Fier qu'on se penche sur son cas... Le lendemain du meurtre et avec le chéquier de la victime il achète un ballotin de chocolats pour sa mère... Le lendemain également il se présente à un hôtel sous le nom de Mr nom-de-la-victime... J'ai hâte de partir en délibérations. Les parties civiles laissent plaidoyer leurs avocats. "Il est certes pitoyable mais également impitoyable" ; "la véritable victime messieurs et mesdames les jurés ce n'est pas lui, c'est cette femme qui a trouvé la mort !"... L'avocate de la défense m'est très antipathique. Elle, pas seulement celui qu'elle représente. Elle n'est pas mauvaise dans son job mais elle ne convaincs pas malgré ses cris, ses invectives et larmoiements d'une heure et demie.
Nous délibérons pendant deux heures. Premier tour, tout le monde s'accorde en une minute sur le fait qu'il est coupable du meurtre dont on l'accuse. Nous devons maintenant délibérer sur sa peine. L'avocat général a demandé de 15 à 18 ans et la défense... Notre clémence ! Chacun s'exprime. J'en vois 4 qui sont tombés dans le panneau et qui se disent qu'après tout ce sont peut être les échecs de sa pauvre vie qui ont mené l'accusé à commettre l'irréparable. Premier vote de peine. Je suis atterrée... 3 voix sur 9 demandent moins de 10 ans ! En tant que premier juré je parle en dernier, juste avant le juge. J'exprime mes doutes sur le passé de l'accusé. Je me base sur les dires des excellents experts (légiste, psy...), je reconstitue les faits. Je découvre qu'il y a préméditation, j'explique que c'est d'après moi un crime "sexuel" travesti en un crime crapuleux, que ces haltères étaient prédestinés à la victime. J'explique que les marques de luttes ne peuvent provenir que "d'avant" les 15 coups de masse sur le crane. Je décortique les incohérences crasses que j'ai écrit dans mes 9 pages de notes. Nous revotons. Les peines sont désormais de l'ordre de 18 ans et ce, jusqu'à la perpétuité. Je suis rassurée d'avoir eu des faits nébuleux à ma dispositions pour étayer mon propos, je n'aurais pas pu les convaincre sans cela. Un homme qui vient de se faire voler ses derniers 2000 francs ne s'achètent pas des haltères à 100 francs (il les tient d'où ses 100 francs ? Une manne secrète ??) pour se prémunir contre un hypothétique deuxième vol. Qu'aurait on bien pu lui voler puisqu'il n'avait plus rien ??! Il a donc acheté son arme non pas pour se défendre d'éventuels agresseurs mais dans un autre dessein... C'était un homme à femmes, plusieurs maîtresses... La victime était drôlement mignonne avant ses dernières photos... Plusieurs tours de votes, je dépouille les bulletins en ma qualité de premier juré : 8 personnes décident de 20 ans, un de 18. Il est donc condamné à l'unanimité à 20 ans de réclusion criminelle. Je songe avec soulagement que justice est faite, que la mémoire de cette jeune femme est honorée et que son amie qui la connaissait depuis toujours et qui pleure tout doucement au fond de la salle a eu gain de cause. Je signe le registre et le pensum du juge. Nous retrouvons la salle d'audience. L'accusé entend sa sentence et ne bronche pas d'un sourcil. Pour une fois qu'il avait de vraies raisons de se sentir victime il a l'air en colère plus qu'abattu ! Sa réaction me conforte dans mon idée première. Je sais, au vu de ce que nous avons entendu qu'il ne regrette pas son geste. Peut être pense t il déjà à faire appel. Peut être pense t il aussi qu'il bénéficiera de la sûreté de 10 ans et qu'il sortira à 60 ans pour "bonne conduite" c'est bien son genre lui qui se dit si "gentil" et si "honnête"... Pour ma part je ne ferais aucun cauchemars cette nuit, malgré les atrocités que j'ai vu aujourd'hui, car j'ai fait ce que je pensais juste.
Me suis faîtes draguer par un des 6 gendarmes présents à l'audience. Il m'a proposé un rendez vous ce week end après m'avoir lancé des fleurs toute la journée. Arf. Y'en a qui perde pas le nord :o) Il est marseillais, a 28 ans et porte très bien le képi ;o) Mais bon... Moi j'ai un mariage demain et je ne sors pas avec les gendarmes qui soutiennent l'OM (je rigole bien sûr !) Chiara ne me le pardonnerait pas héhé... Il m'a dit tout à l'heure qu'étant donné qu'il faisait de la musculation il pouvait me renseigner sur le prix des haltères. Ai pas compris son sens de l'humour, mais je devais être sous l'emprise d'une vieille migraine des bois ;o) J'ai quitté mes consœurs et confrères et le juge a vivement souhaité que je le rejoigne à sa table pour les procès de la semaine prochaine. Si cela ne tenait qu'à moi j'aimerai mieux éviter. Je me sens quelque peu vidée. Ce midi j'ai eu un coup de fil de Nicole : "Vous avez eu de très bonnes idées, j'adore vos concepts, surtout ceux de la montagne, du jeu et de la danse (c'est à dire 3/4) par contre le client ne veut rien commencer avec fin octobre, vous serez libre ?" Un peu déçue je suis. Enfin ! J'ai gagné la compète et j'ai peut être un job pour fin octobre... J'ai aussi gagné 1500 francs pour mes concepts. Alors quoi ? Ben alors j'ai "vu" un meurtre, j'ai condamné un homme et le free lance n'est plus d'actualité... Ma joie est plus que mitigée... Dure journée, vous ne trouvez pas ?
Demain c'est papa qui m'escortera jusqu'en campagne pour le mariage de mon amie. J'ai hâte de le retrouver et passer une heure en voiture à ses côtés. Je pense qu'il sera fier de sa grande fille, sans doute autant que je suis fière de lui : il a finit sa fenêtre :o) Béca m'a proposée d'aller voir Moulin Rouge (et de pleurer ensemble donc) dimanche après midi. J'imagine qu'après une bonne nuit de sommeil je me rendrais sereine chez le coiffeur demain, en matinée. J'ai envie de changer de tête. Marre de mes longs cheveux, j'aspire au dégradé et j'ai envie de revoir mes copines du salon qui savent si bien me changer les idées. Une dernière chose avant de tous vous souhaiter la bonne soirée : Carry est la dernière a avoir laissé son mot sur la page anniversaire. Il est extrêmement mignon et si vous voulez finir mon entrée sur une touche gaie, allez donc le lire :o)
météo intérieure du jour :
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